Appel à communication : Rapports sociaux de race, résistances et perspectives critiques

Prolongation de l’appel à communication jusqu’au 30 juillet 2015.

Depuis les militantes féministes et abolitionnistes noires du XIXe siècle (Sojourner Truth ou Mary Church Terrel), aux féministes noires lesbiennes des années 70 (Angela Davis, Combahee River Collective, Audre Lorde, entre autres), l’exigence située d’articuler la race au genre, à la sexualité et à la classe, a été le fait de voix minoritaires et réfractaires. À la différence des positionnements intersectionnels de nombreux collectifs locaux, le champ académique français s’est davantage intéressé à l’imbrication des rapports sociaux de classe et de genre, les rapports sociaux de race (Kebabza, 2006) en France faisant le plus souvent l’objet d’analyses hiérarchisées des dominations.

Avec ce colloque sur les rapports sociaux de race, pensés dans leur imbrication à la classe, au genre et aux sexualités, l’association EFiGiES propose un lieu d’échanges et de solidarité dans un contexte d’exacerbation des violences matérielles et symboliques, ainsi que de résistances et de luttes croissantes des sujets racisés. Ces deux journées fourniront un espace de dialogue aux chercheur.e.s (dans et hors le monde académique) et acteurs.trices de collectifs, réseaux ou associations diversifiés. S’inscrivant au croisement de la recherche et du militantisme, ce colloque pluridisciplinaire se veut accessible à tout.e.s les intéressé.e.s. Sont donc attendues des propositions issues de l’ensemble des sciences humaines et sociales mais également des contributions faisant la part belle aux savoirs construits par l’engagement.

La question de la position située d’EFiGiES, à dominante blanche a été l’une de nos motivations pour l’organisation de ce colloque ; les analyses ayant trait à la blanchité [McIntosh, 2004 ; Frankenberg, 1993] dans son imbrication avec le genre, les sexualités et la classe sont donc particulièrement attendues. Les jeunes chercheur.e.s qui ne lisent pas habituellement leurs travaux sous cet angle sont invité.e.s à élaborer des propositions en ce sens.

Les cinq axes de recherche suivants ne sont pas exhaustifs et des interventions proposant une critique explicite du cadre esquissé ici, à partir d’autres positionnalités ou approches théoriques, sont bienvenues. Si nous souhaitons explorer les processus de racisation (De Rudder, 2000) et de résistances dans le contexte français (métropole et territoires post-coloniaux), des approches comparatives peuvent être proposées.

I – La race : un produit scientifique et culturel

Dans cet axe, nous aimerions éclairer l’élaboration de la race en tant que catégorie et ses enjeux dans la structuration des rapports de domination, à travers des communications sur l’historicité du concept de race et des racismes, la hiérarchisation raciale des cultures ou la production de savoirs scientifiques et de politiques culturelles racistes. Alors que les figures du savant et de l’artiste telles qu’elles émergent au XIXe siècle dessinent en filigrane le portrait de l’homme blanc, nous espérons également des interventions qui interrogent l’ethnocentrisme et l’occidentalocentrisme des sciences et des savoirs académiques, qu’il s’agisse de l’évolution de disciplines comme l’anthropologie ou la médecine, des méthodes et des sources pour écrire l’histoire ou du point de vue situé des chercheur.e.s sur leur terrain. Nous voudrions de même interroger, notamment au prisme du genre, les modalités et les effets de la marginalisation institutionnelle des personnes racisé.e.s.

S’il s’agit de revenir sur la contribution et le soutien possibles des instances scientifiques et culturelles à l’idéologie raciste de leurs contemporain.e.s, il importe aussi de mettre en relief les résistances et les déconstructions de la race opérées par les savoirs et les arts, et l’agentivité de leur producteur.rice.s. Enfin, comme l’ont montré les confrontations autour du spectacle « Exhibit B » en 2014, il apparaît nécessaire de penser la place des blanc.he.s dans la production de savoirs et de pratiques artistiques se réclamant d’une visée antiraciste et/ou décoloniale (Gay, 2014).

II- Race, empire et appareil d’État

En contexte colonial puis néocolonial, les politiques étatiques hiérarchisent tant les citoyen.ne.s que les migrant.e.s, produisant leurs lots de privilégié.e.s (« expatriables »), d’exclu.e.s (« sans-papier.e.s », « citoyen.ne.s de seconde zone ») et de morts anonymes. Comment les rapports sociaux de race assignent-ils des corps à des territoires ? À quelles mesures matérielles la catégorie administrative de « gens du voyage » est-elle adossée ? Qu’est-ce qu’être blanc.he en territoire (néo)colonial ? Qu’est-ce qu’être racisé.e en métropole, en banlieue ou dans un village, etc. ? Du profilage racial aux politiques migratoires, comment les États contrôlent-ils leur territoire et modulent-ils la liberté de circulation ? Quelles frontières différentielles, matérielles et symboliques sont édifiées, franchies ou remodelées ?

Tandis que les territoires coloniaux faisaient l’objet de législations spécifiques aux indigènes, l’actuelle « police des frontières » est redoublée sur les territoires nationaux par un système juridique et policier différentiel, qui criminalise des figures spécifiques de délinquant.e.s (prostituées sans papières, « dealers » présumés) et normalise les crimes policiers. Quelles sont les modalités genrées à l’œuvre dans les représentations des sujets à contrôler, à « assister » (Mile, 2008) ou à « secourir » (Chouder, Latrèche, Tevanian, 2008) ? Comment faire face à la manière dont la non conformité aux normes de genre occidentales permet de légitimer un racisme culturaliste (contrôle des femmes voilées, suspicion de « radicalisation », etc.) ? Et enfin comment hommes, femmes, cis ou trans, contournent, transgressent ou affrontent ces politiques étatiques ?

Au sein de l’empire, le contrôle des corps passe par l’imposition de normes de genre et de sexualité occidentales : des dispositifs médico-légaux et disciplinaires héritées du XIXe siècle et encore mis en œuvre dans certains pays du Sud à l’imputation d’une homophobie propres aux racisé.e.s des « banlieues ». Il est ainsi possible de dresser une cartographie de l’impérialisme sexuel et des reconfigurations des économies érotiques et impériales depuis la colonisation : des excursions orientalistes du XIXe siècle au tourisme sexuel « exotique » en Thaïlande.

III – Le prisme de l’exploitation

Dans cet axe, nous aimerions voir aborder le monde du travail, en tant que site central des rapports de domination mais aussi foyer majeur des mobilisations collectives. La division mondialisée du travail reflète et reproduit les mécanismes de domination Nord-Sud. Bien souvent, les politiques de l’emploi assignent respectivement les femmes et les hommes migrant.e.s des Suds ou les Français.es racisé.e.s au travail de reproduction sociale (Falquet, Moujoud, 2010), et aux travaux physiques d’entretien et de construction (Galerand, Kergoat, 2013). Ces observations concernent tant les entreprises que les universités.

Les politiques migratoires européennes produisent et hiérarchisent différentes catégories de travailleu.se.r.s immigré.e.s, rejetant les plus précaires d’entre elles et eux dans les secteurs d’activité informelle en créant une vulnérabilité politique considérable. Ces processus induisent des fractures et des conflits d’intérêt majeurs entre femmes (Le Renard, 2013), notamment du fait d’une exploitation des unes par les autres.

Par ailleurs, la valeur accordée à un travail, qu’il soit activité rémunérée ou non, est fortement influencée par la « valeur raciale » de son producteur. Nous espérons des communications qui abordent aussi bien les discriminations raciales à l’emploi, les écarts de rémunération, la vulnérabilité plus ou moins importante au chômage, à l’emploi saisonnier, les stéréotypes de genre et de race attachés à certaines tâches ou métiers, la racialisation du care (Tuominen, 2003) mais aussi les mouvements des sans-papier.e.s, les actions de collectifs de personnes racisé.e.s, leurs liens avec les organisations traditionnelles de défense des travailleurs, etc.

IV- Race, représentativité et mobilisations collectives

Au cours des années 2000, la « diversité » fait son entrée dans la vie politique française. C’est ainsi que des élues de la diversité comme Fadela Amara, Rama Yade ou encore Rachida Dati deviennent des figures de proue de la droite en 2007. Mais l’attention portée aux effets socio-politiques de la « diversité » a révélé que, malgré cette mise en scène médiatique et politique, sa valeur réelle était assez limitée (Bereni, Jaunait, 2009 ; Avanza, 2009). Qui plus est, respecter la diversité du personnel élu demeure un engagement informel car, contrairement à la parité, aucune loi n’impose aux partis politiques des élu.e.s racisé.e.s.

Qu’en est-il aujourd’hui, une décennie après l’apparition de la « diversité » dans le vocabulaire institutionnel français ? Dans un contexte où les fractures sociales (irrésolues) se sont à nouveau montrées dans toute leur ampleur, et où le vote en faveur de l’extrême droite mais aussi l’abstention ne cessent de s’accroître, il s’agit dans cet axe de réinterroger la « diversité » en politique. Les propositions de communication peuvent concerner la représentation et/ou le vide politique, aussi bien du point de vue de l’électorat que de celui des partis politiques et des mobilisations collectives. Une considération de l’échiquier politique du point de vue de l’imbrication des rapports sociaux sera valorisée. Quelles hiérarchies des luttes, quelles stratégies de captation de l’adhésion électorale et sont-elles mises en œuvre ? Les communications peuvent également rendre compte de trajectoires individuelles d’acteurs.trices racisé.e.s au sein des partis politiques ou d’organisations alternatives.

V – Féminismes intersectionnels

Le concept d’intersectionnalité, construit par la juriste afroaméricaine Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980 affirme la nécessité de mettre au centre de la réflexion et de l’action, la condition de sujets politiques confrontés à une multiplicité de rapports de domination, en l’occurrence, de sexe, race et classe (Crenshaw, 2005). Si l’articulation de ces rapports sociaux est complexe, susceptible d’analyses locales contrastées, les féminismes intersectionnels s’opposent aux politiques impérialistes du féminisme et des luttes LGBT majoritaires, ainsi qu’à la blanchité des principaux mouvements anticapitalistes. Elles interpellent également les courants politiques antiracistes et décoloniaux sur l’androcentrisme et parfois l’hétérocentrisme de leurs projets politiques. Selon les conjonctures et les orientations politiques, la rupture franche ou la négociation (Nnaemeka, 2004) sont de mise.

Cet axe invite une lecture des zones d’ombres historiques et théoriques de l’intersectionnalité. L’invisibilisation des luttes historiques des femmes des Suds, ou leur récupération médiatique occidentale (notamment dénoncée par les combattantes kurdes de Kôbané) accréditent l’idée d’une exception occidentale du féminisme. En quels termes propres ces luttes sont-elles pensées et orchestrées, et quels enseignements apportent-elles aux féminismes du Nord ? Nous attendons par ailleurs des communications sur l’histoire des collectifs féministes intersectionnels en France, moins connue que celle des États-Unis, ainsi que leurs points de dissensions avec le féminisme blanc. En empruntant cette double échelle globale et nationale, il s’agit aussi d’explorer la vigueur actuelle des féminismes transnationaux et des mobilisations féministes en France (féminismes islamiques, afroféminismes, queers of color, etc.). Des propositions qui rendent compte des enjeux spécifiques de la lutte des queers et trans’ racisé.e.s et de leurs perspectives d’émancipation seront les bienvenues durant ce colloque.

Modalités de soumission

Les propositions de communication rédigées en français d’une page maximum (bibliographie non comprise), doivent être adressées au plus tard le 15 juillet 2015 en format doc. ou pdf à [email protected]. Merci de mentionner, dans le document joint, vos nom, prénom, statut, votre éventuel rattachement (université, association, collectif) et de rappeler votre adresse électronique.

Le colloque se déroulera les 22 et 23 octobre 2015 à la MSH Paris Nord. Les réponses d’acceptation ou de refus seront envoyées par mail le 1er septembre 2015.

Pour toute information complémentaire, merci de nous contacter à l’adresse : [email protected].

Comité d’organisation :

  • Lola Gonzalez-Quijano, docteure en histoire, chercheuse associée au LaDéHIS (EHESS)
  • Isabelle Matamoros, doctorante en lettres et histoire au LIRE (Lyon 2) et au CERLIS (Paris 5 Descartes).
  • Mira Younes, doctorante en psychologie sociale, UTRPP, Paris 13.
  • Marie-Sherley Valzema, doctorante en sciences de l’information et de la communication, CIM, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Journée organisée avec le soutien financier du Gis Institut du Genre et du Ministère de l’Enseignement supérieur.

Bibliographie

Avanza Martina, « Qui représentent les élus de la « diversité » ? Croyances partisanes et points de vue de  » divers » », Revue française de science politique, 2010, vol. 60, n°4, p. 745-767.

Bereni Laure, Jaunait Alexandre,« « Usages de la diversité » », Raisons politiques, 2009, n°35, p. 5-9.

Chouder Ismahane, Latrèche Malika, Tevanian Pierre (eds.), Les filles voilées parlent, textes et entretiens recueillis, Paris, La Fabrique, 2008.

Combahee river collective, « Déclaration du Combahee River Collective », Les cahiers du CEDREF, n°14, 2006, p. 53-67.

Crenshaw Kimberlé « Cartographie des marges : Intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du genre, n°39, 2005, p. 51-82.

De Rudder Véronique, « Racisation ». Vocabulaire historique et critique des relations interethniques, 2000, n° 6-7, p. 111-113.

Falquet Jules, Moujoud Nassima, « Cent ans de sollicitude en France », Revue Agone, nº43, 2010, en ligne, http://revueagone.revues.org/925.

Gay Amandine, « « Exhibit B » : Oui, un spectacle qui se veut antiraciste peut être raciste », Slate, 29 novembre 2014, www.slate.fr/story/95219/exhibit-b-raciste.

Galerand Elsa, Kergoat Danièle, « Le travail comme enjeu des rapports sociaux de (sexe) », in Margaret Maruani (dir.), Travail et genre dans le monde, Paris, La Découverte, 2013, p. 44-51.

Guillaumin Colette. Sexe, Race et Pratique du Pouvoir. L’idée de Nature. Paris : éd. côté Femmes, 1992.

Kebabza Horia, « « L’universel lave-t-il plus blanc ?  » : « Race », racisme et système de privilèges », Les Cahiers du CEDREF, n°14, 2006 en ligne. http://cedref.revues.org/428

Le Renard Amélie, « Articuler genre, classe et race. Approches empiriques », in Margaret Maruani (dir.), Travail et genre dans le monde, Paris, La Découverte, 2013 p. 98-106.

Mile Saimir, « La répression et l’assistance », Le Tigre, n°28, 2008, p. 60-63.

Naemeka, Obioma, « Nego-Feminism: Theorizing, Practicing and Pruning Africa’s Way », Signs, n°29, 2004, p. 357-385.

Tuominen Mary C., We Are Not Babysitters: Family Child Care Providers Redefine Work and Care, Rutgers, Rutgers University Press, 2003.